Dossier Sismicité non tectonique : Quand la surface s’en mêle
Les scientifiques ont, depuis une vingtaine d’années, identifié plusieurs phénomènes naturels susceptibles de se superposer aux contraintes de la tectonique pour déformer la croûte terrestre et ainsi participer à la sismicité . Les conséquences des cycles glaciaires et de l’érosion sont étudiées avec attention. Grâce aux satellites et à la géodésie spatiale, on commence à mieux mesurer les effets de ces phénomènes complémentaires afin de les intégrer dans l’évaluation de l’aléa sismique .
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- (Sources : BRGM?)
Les séismes sont provoqués par une rupture de la croûte terrestre au niveau d’une faille , consécutive à des déformations dont les origines peuvent être variées. Les mouvements des plaques tectoniques sont la source la plus connue de ces déformations et la plus documentée. Dans les zones de limites de plaques ou les points chauds, la tectonique provoque l’essentiel de la sismicité et les mécanismes en jeu sont désormais bien identifiés. Mais il existe d’autres phénomènes naturels susceptibles de déformer la croûte terrestre, en particulier l’érosion et les cycles glaciaires. Dans les deux cas, ces processus modifient la répartition des masses en surface et donc la façon dont la croûte terrestre est mise sous contraintes. Moins comprimée par les roches ou les glaciers dans certaines zones, elle va petit à petit remonter occasionnant des déformations principalement verticales.
Pierre Thomas, professeur émérite à l’ENS? de Lyon, fait la comparaison suivante : « Une surcharge (calotte glaciaire, volcans…) se traduit par un enfoncement de la croute terrestre dans l’asthénosphère et une décharge (fonte des glaces, érosion…) se traduit par une remontée, de la même façon qu’un bateau qu’on charge s’enfonce dans l’eau et qu’un bateau qu’on décharge remonte. Dans le cas d’un navire dans un port, la montée/descente et le retour à l’équilibre sont quasiment instantanés, car la viscosité de l’eau est très faible (10-2 Pa.s). Si on imaginait ce bateau flottant sur un miel épais ou sur de la cancoillotte, la descente/remontée du bateau ne serait pas instantanée, mais durerait plusieurs minutes. Dans le cas de la surface terrestre, montée/descente et retour à l’équilibre mettent des milliers d’années à se faire, car la viscosité des roches constituant l’asthénosphère est très élevée (de 1019 à 1020 Pa.s) ».
Un rebond post-glaciaire mesurable
L’un des phénomènes naturels susceptibles de modifier la répartition des masses en surface et de générer une déformation de la croûte terrestre est celui de la fonte des glaciers à l’échelle des cycles glaciaires. Dans certaines parties du globe, recouvertes pendant les glaciations quaternaires de plusieurs milliers de mètres de glace, la remontée est depuis longtemps constatée par les habitants. Les mesures de nivellement faites depuis le début du 20e siècle montrent qu’actuellement le nord du golfe de Botnie (entre Suède et Finlande) remonte (par rapport au niveau de la mer supposé fixe) d’environ 1 m/siècle. Cette remontée est du même ordre de grandeur au Canada au niveau de la baie d’Hudson, mais seulement de 20 cm/siècle sur la côte Nord de la Norvège.
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- Les différentes étapes des mouvements verticaux ayant affecté le Canada et la Scandinavie
- (Sources : planet-terre.ens-lyon.fr)
Ce phénomène, dénommé aussi « ajustement isostatique glaciaire » (GIA selon l’acronyme anglais), est donc connu et mesuré depuis longtemps et il serait par le passé responsable des grands tremblements de terre de l’Holocène de la Scandinavie jusqu’au centre de l’Allemagne.
Ces dernières années, le développement de la géodésie spatiale et des réseaux GPS, de plus en plus précis, a permis des observations plus fines de ce phénomène. Cette technologie permet en effet désormais de mesurer des mouvements verticaux avec une précision de 0,1 mm/an. Les données recueillies montrent des soulèvements de la croûte terrestre dans d’autres régions du globe et notamment dans les Alpes où le taux de soulèvement le plus important est mesuré dans les Alpes occidentales et centrales et atteint 2 à 3 mm/an. Ces soulèvements s’expliquent en grande partie par l’ajustement isostatique post-glaciaire.
Un autre phénomène plus discret : l’érosion
Un autre phénomène est susceptible de modifier la répartition des masses en surface : l’érosion, c’est-à-dire le déplacement de matériaux principalement des reliefs vers les zones de bassins. Le plus souvent, l’érosion est étudiée à partir de l’estimation de la matière enlevée. De nombreux travaux ont porté sur l’évolution des paysages aux échelles de temps géologiques (1 à 100 millions d’années) afin de mieux comprendre les processus d’érosion et leur interaction avec les déformations de la croûte terrestre. « Les différentes techniques ne fournissent que des estimations indirectes des taux d’érosion moyennés sur la période considérée et dépendent de modèles avec de multiples inconnues, explique cependant Stéphane Mazzotti, professeur à Géosciences Montpellier, il reste difficile d’établir un lien entre l’érosion et la réponse de la lithosphère ».
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- Plage Porsangerfjord au nord de la Norvège. Traits de côte « fossile » représentant le niveau de la mer il y a 6 000 et 7000 ans
- (Source : couverture du GSA Memoirs 180)
Cependant de récentes études tendent à montrer que l’érosion induit un soulèvement et de l’extension dans la partie centrale des chaînes de montagne actuellement soumises à de faibles déformations tectoniques comme les Pyrénées.
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- Erosion et remontée isostatique de la lithosphère
- (Source : http://svt.ac-dijon.fr/)
Des effets sur les séismes superposés à la tectonique
Il est donc désormais acquis que des phénomènes naturels tels que le rebond glaciaire ou l’érosion induisent avec différentes intensités des déformations de la croûte terrestre. Mais ces déformations peuvent-elles entraîner des séismes ?
En l’état actuel des connaissances, il est admis par le monde scientifique que ces phénomènes ne suffisent pas à eux seuls à provoquer des séismes, qui sont toujours le résultat de la rupture d’une faille dont l’existence s’explique par la tectonique. « On considère que les effets des autres phénomènes naturels viennent se superposer à la tectonique, explique Stéphane Mazzotti, ce qui n’exclut pas qu’ils puissent être déclencheurs ou que leur participation au chargement de la faille soit majoritaire ». Néanmoins, l’influence relative de la tectonique et des autres causes ne serait pas la même en zone sismique active ou en zone intra-plaques, dite stable.
Une influence à la marge en zone sismique active
Dans les régions situées à la frontière de plaques, l’influence des mouvements tectoniques est à l’origine de contraintes colossales, ce qui en fait le moteur principal de chargement des failles. Pourtant, de récentes études menées en zone de forte sismicité tendent à montrer que certains phénomènes naturels, en changeant la répartition des masses en surface, pourraient avoir une influence non négligeable. C’est ce qu’a étudié une équipe de recherche franco-taiwanaise, impliquant Philippe Steer du laboratoire Géosciences Rennes. Leurs résultats montrent que l’érosion et la sédimentation à Taiwan, où les taux d’érosion sont élevés, de l’ordre de 0,1 à 20 millimètres annuels, contribuent au chargement des failles, en particulier au chargement de la partie superficielle des failles (entre 5 km de profondeur et la surface). Ils estiment même que ces contraintes liées à l’érosion peuvent y être plus importantes que celles liées à la tectonique et être suffisantes pour déclencher des séismes peu profonds ou favoriser la propagation en surface de séismes plus profonds. Ce phénomène peut par ailleurs être significativement accéléré par des évènements météorologiques majeurs susceptibles de déplacer rapidement une quantité importante de matériaux, comme dans le cas des typhons. Ainsi, les scientifiques ont observé une modification de la sismicité de Taiwan après le passage du typhon Morakot en 2009, un typhon qui a entrainé une érosion brutale des paysages de l’île.
Une influence supposée plus forte en intra-plaques
Les zones situées loin des frontières de plaques, ou zone intra-plaque, enregistrent une sismicité beaucoup plus faible. C’est notamment le cas de la France métropolitaine, située sur la plaque Eurasie. Pourtant, le réseau sismique français enregistre quotidiennement de très faibles séismes et plus rarement des évènements de magnitude plus élevée ressentis par la population, voire destructeurs, comme en 2019 au Teil (Ardèche). « La question des processus et des forces responsables de la sismicité intra-plaque est une énigme scientifique majeure » peut-on lire dans un article de synthèse paru en mai 2020 sur les processus et taux de déformation générant la sismicité en France et en Europe occidentale proche, dont l’un des auteurs est Stéphane Mazzotti (voir trois questions à). « Il y a bien des forces issues de la tectonique qui s’appliquent, mais on ne connait pas véritablement leur impact en intra-plaque. Dans ce contexte, les autres forces issues des phénomènes naturels comme l’érosion ou les cycles glaciaires, pourraient être déterminantes, mais des études complémentaires sont nécessaires », explique ce chercheur.
Pour autant, en France comme ailleurs, les séismes ne se produisent qu’en présence de failles. Sur le territoire métropolitain, celles-ci sont bien cartographiées mais on connait parfois mal leur origine. « Elles pourraient remonter à l’époque où cette partie de la croûte terrestre était située en frontière de plaques », avance Stéphane Mazzotti. Ces failles sont anciennes et considérées comme peu actives. Reste à comprendre l’origine des forces qui vont progressivement les recharger jusqu’à la rupture et au séisme .
La synthèse des déformations mesurées dans différentes régions de Métropole (Alpes, Pyrénées, Graben du Rhin supérieur…) montre que les forces tectoniques qui s’appliquent en bordure de plaques sont susceptibles d’expliquer l’orientation moyenne d’une grande partie des contraintes observées quelle que soit la région, même très éloignée de ces bordures, à l’exception des Alpes où on observe une plus grande variabilité. Mais ces forces ne peuvent expliquer à elles-seules toutes les déformations à l’échelle régionale ou locale. « Les écarts locaux par rapport à cet état général, en particulier dans les Alpes occidentales, soulignent le rôle important des mécanismes et processus supplémentaires dans la déformation locale » soulignent les rédacteurs de cet article de synthèse. Le soulèvement des Alpes et l’érosion sont de très bons candidats pour expliquer ces écarts.
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- Sismicité Instrumentale de la France métropolitaine de 1962 à 2018
- (Source : BCSF?)
La poursuite des travaux de recherche permettra peut-être un jour de mieux comprendre certains séismes historiques de magnitude élevée encore partiellement inexpliqués, comme ceux survenus dans le Pas-de-Calais en 1382, 1449 et 1580, dans un secteur où la sismicité mesurée par les réseaux d’observation instrumentale est faible et éloignée des frontières de plaques, ou encore celui du Teil, de magnitude 5, dans une zone de sismicité modérée.
Une meilleure compréhension de l’influence de ces facteurs de sismicité non tectoniques est un enjeu majeur pour améliorer l’estimation de l’aléa sismique et la prévention.
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- Le clin d’oeil d’Eric Appéré
Pour aller plus loin
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-L’article « Les plages soulevées de Scandinavie et du Canada, conséquences du rebond post-glaciaire » de Pierre Thomas, 2015-05-11, -Planet-Terre- ISSN 2552-9250 |
- L’article « Processus et taux de déformation générant la sismicité en France métropolitaine et en Europe occidentale proche » de S. Mazotti, H. Jomard et F. Masson, BSGF - Earth Sciences Bulletin 2020, 191, 19 | |
- L’article « L’érosion influence la sismicité des failles actives » de P. Steer, M. Simoes, R. Cattin, et J. B. H. Shyu, Nature Communications, 2014 | |
- La Base de Données des Failles Actives » de France métropolitaine de l’IRSN? | |
- Le dossier L’article « Séismes, météo et climat » du site planseisme.fr | |
- Les rapports de mission des chantiers polaires de l’EOST? |